L’IEIM vous présente Mathieu Boisvert, professeur au Département de sciences des religions de l’UQAM
Mathieu Boisvert est également fondateur et directeur du CERIAS
On voyage lorsque l’on écoute Mathieu Boisvert – entre les époques, les espaces religieux, les territoires. De fait, c’est aussi un voyage au Sri Lanka, à l’âge de 17 ans, qui éveille sa curiosité pour l’Asie du Sud et le bouddhisme – très éloignés du Québec encore très catholique, dans lequel il avait baigné. Cette première expérience sera déterminante dans son parcours académique. Elle lui donne l’impulsion initiale pour poursuivre son cheminement académique en philologie approfondie et pour l’apprentissage du sanskrit et du pali. Il effectue un baccalauréat en Religious Studies à l’Université McGill, obtient un diplôme en pali au Siddhartha College de l’Université de Bombay ainsi qu’une maîtrise en études sud-asiatiques à l’Université de Toronto, et, enfin, un doctorat en pali et sanskrit à l’Université McGill en 1991.
Recruté comme professeur à l’UQAM, Mathieu Boisvert s’inspire d’une initiative portée par George Leroux et Janick Auberger, professeurs de philosophie et d’histoire, pour mettre sur pied en 1998 un premier séjour d’études crédité. Il part en Inde, avec une vingtaine de jeunes étudiants au premier cycle. Le voyage, éprouvant, dure 3 mois : il s’agit alors d’étudier le pèlerinage sud-asiatique en visitant plusieurs sites religieux de l’Inde du nord. Il renouvelle l’expérience avec une équipe de chercheurs au sein d’un projet multidisciplinaire au Mont Kailash au Tibet; puis avec des étudiants gradués, dans le cadre du pèlerinage de la Kumbh Mela, le plus grand au monde. Pour lui, c’est aussi le début d’une approche en recherche davantage anthropologique, sur un terrain où le religieux et le politique participent à une même dynamique et sont difficilement distinguables.
Au cœur de la passion de Mathieu Boisvert pour l’Asie du Sud-Est, il y a le religieux, qu’il définit ainsi :
« Le religieux est un univers de sens, de pratiques […] Il répond à ces questions : « comment se perçoit-on dans ce monde ? comment interagit-on avec le monde qui nous entoure ? comment fait-on sens de la réalité ? » (…)» .
Dès lors, « tous les univers de sens sont sur un pied d’égalité ». Il étudie les religions d’Asie du Sud, le bouddhisme, l’hindouisme et le Sikhisme notamment. Plus récemment, il s’est intéressé aux nouvelles pratiques religieuses contemporaines (pèlerinage, ascétisme) – qui l’ont conduit à réaliser plusieurs recherches de terrain en Inde, au Sri Lanka, au Népal, au Bhoutan.
Mais dans un contexte de radicalisation politique en Inde, d’une redéfinition de l’identité indienne autour de l’hindouisme, ses intérêts de recherche se déplacent vers l’articulation entre le politique et le religieux. La fédération indienne est traversée par un populisme identitaire – une forme de démocratie « ethnique » sous le BJP de Modi. Les minorités religieuses, notamment musulmanes, sont particulièrement marginalisées, juridiquement, politiquement, voire victimes d’actes de violence. L’actualité pousse Mathieu Boisvert à déborder de sa formation initiale en langues et traditions anciennes de l’Asie du Sud.
« Devant l’urgence politique et sociale, les priorités de recherche changent; l’objectivité du chercheur est affectée ».
En 1992, date de sa première année d’enseignement au Québec, 200 000 nationalistes hindous avaient marché sur Ayodhya, dans l’Uttar Pradesh, et détruit la mosquée de Babur. C’était le début de pogroms anti-musulmans. Mathieu Boisvert se penche depuis sur les reconstructions d’une identité indienne hindoue, autour de symboles religieux virilistes – contrairement à la figure de Gandhi, « perçu comme passif, émasculé ». Comme il nous l’explique, le Citizenship Amendment Act et le National Registery Citizenship sont deux exemples récents de cette discrimination systématique. Le second considère comme « indien » toute personne dont l’ascendance est présente en Inde depuis 1971 – une preuve quasi impossible à obtenir pour des millions de personnes, ce qui conduit de fait à retirer le statut de citoyen, à une grande partie de la population. Le premier considère comme indienne toute personne résidant en Inde depuis plus de 7 ans et issue des communautés religieuses hindoue, sikh, chrétienne, bouddhiste – réhabilitant tous les exclus de la citoyenneté… à l’exception des musulmans.
Dans une perspective inversée, celle du religieux au cœur de l’inclusion citoyenne, Mathieu Boisvert s’est intéressé au rôle de la religion dans la reconstruction identitaire des nouveaux arrivants sur le territoire québécois. À rebours d’une pensée commune qui voit dans les lieux de culte un obstacle à l’intégration, ses recherches conduites au sein du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le Montréal ethno-religieux (GRIMER), les révèlent avant tout comme des espaces de négociation, qui permettent une re-construction identitaire graduelle.
« Le lieu de culte est un espace de négociation avec le territoire d’accueil, un espace de transformation des pratiques religieuses, créatrices de sens ».
« Les lieux de culte des minorités religieuses, au Québec, se révèlent être des espaces de confiance, de sécurité, d’aisance pour les nouveaux arrivants. Ils se présentent aussi comme des ressources pratiques permettant une intégration dans la société d’accueil – « quelle est la garderie la plus proche ? » par exemple ».
Les lieux de culte offrent enfin la possibilité aux primo-arrivants de parler leur langue, de la transmettre à leurs enfants au travers de rites, de cérémonies et des écoles « du dimanche » souvent organisées pour les jeunes de la communauté.
« Les Québécois savent l’importance de la transmission de sa propre langue ».
Dans ses recherches, Mathieu s’est aussi penché sur la réappropriation de rites religieux à des fins politiques. En travaillant sur les minorités tamoules originaires du Sri Lanka, à Montréal, plusieurs célébrations l’ont particulièrement marqué. Ainsi du rituel hindouiste de « cavadee », dans lequel de jeunes hommes sont suspendus à des crochets. Ce rituel de « virilité » vient ici directement faire écho à l’histoire contemporaine du pays – dans un imaginaire collectif de réappropriation du territoire, de sa souveraineté. Ainsi encore de la célébration montréalaise de l’anniversaire Prabhakaran, chef de l’armée de libération des tigres tamouls, qui fut l’occasion en 2006 d’une rediffusion de ses discours, mais aussi de l’exhibition de tombes artificielles, mettant en scène les martyrs qui ont accédé à la pureté par la lutte politique.
Depuis une dizaine d’années, Mathieu travaille sur les communautés hijras (« transgenres ») sud-asiatiques. Il s’intéresse notamment à la manière dont ces communautés, extrêmement marginalisées, utilisent le religieux pour davantage de participation politique et sociale. « Ce sont des communautés marginalisées, mais aussi généralement perçues de façon ambivalente, elles sont sacrées et craintes ». Ses recherches en cours portent sur les identités de genre non-binaire au sein de certaines communautés ascétiques hindoues. Quant à savoir ce qui l’inspire pour chaque projet de recherche, il répond sans hésiter : « ce sont les étudiants ». Ce sont eux qui lui amènent des idées, des projets, des questions.
Nous aurons le plaisir de le retrouver dans le cadre d’un cycle de 4 conférences prévu en 2021-2022 sur la diaspora sud-asiatique : « Politique, genre et rituels », en cours d’organisation avec le CERIAS et en collaboration avec l’IEIM et le MRIF. Un autre cycle de conférences est en préparation pour 2022-2023: « À la fois autochtones et indiens : ādivāsī et territoires sud-asiatiques ». Une occasion à ne pas manquer pour en apprendre davantage sur l’autochtonie hors Amériques!