Ce projet pilote repose sur une collaboration étroite avec la communauté sakhī elle-même. Ce partenariat, développé en janvier 2020 et renouvelé – nous espérons – à l’hiver 2023, lors de recherches préliminaires (« pré-terrain », partiellement financé par le Ministère des relations internationales et de la Francophonie, Québec) au Madhya Pradesh est d’une importance primordiale afin de constituer un climat de confiance et de construire et développer un projet qui répond aux besoins de la communauté sakhī. Ce partenariat repose sur la constitution d’un comité consultatif formé de cinq membres aînées du sakhī sampradāya du Madhya Pradesh (Bhopal, Indore) qui assurent justement l’étroite articulation avec les besoins de la communauté ainsi que la coopération de cette dernière pour atteindre les objectifs du projet tels que présentés et, notamment, d’assurer la participation d’un nombre donnée de participantes au projet.
La méthodologie envisagée pour ce projet est multiple, mais est enracinée dans une démarche fondamentalement anthropologique. D’une part, l’aspect historique (contexte de fondation et évolution ultérieure de la communauté) devra être élucidé et détaillé. À cette fin, seront convoqués, outre les textes mystiques mentionnés précédemment et qui sont les fondements – réels ou putatifs – de la communauté sakhī contemporaine, des textes non-hindous tels les chroniques historiques mogholes du 15e et 16e siècles (entre autres, le Akbarnāmah d’Abu’l Fazl) reflétant le contexte dans la région du Braj (d’où émanent justement les textes ci-haut mentionnés), et les Gazetteers of India issus de la présence britannique aux 17e et 19e siècles. Ces divers genres littéraires devront être analysées à partir d’une perspective historico-critique et de ce que Dimitrova et de Bruijn (2017) qualifie d’anthropologie textuelle : ce volet de recherche sera placé sous la responsabilité première des chercheures Pasche Guignard et Dimitrova, expertes des approches historiques et littéraires.
D’autre part, la recherche proposée intègre l’analyse de récits de vie, l’entretien semi-dirigé et l’observation sur le terrain. La collecte du récit de vie et l’entretien semi-dirigé seront précédés de plusieurs journées de « contact » avec chacune des participantes et leur milieu afin de tisser le lien préalable nécessaire. L’entretien nous permettra d’avoir une grande flexibilité quant à des demandes de précisions et d’approfondissement (Poupart et al. 1997). Les récits de vies permettront de cerner les constructions identitaires individuelles à travers les trajectoires sociales et les changements culturels (Burrick, 2010). Au niveau de l’analyse, les données recueillies dans cette optique seront mises au compte d’une double interrogation, soit sur les conditions de vie des sakhī, et sur les constructions narratives qu’elles mettent en œuvre et qui sous-entendent une articulation entre le social et la dimension historique et la mythologie collective, entre les normes de la communauté et les règles de la société. En outre, les entretiens semi-dirigés porteront sur une série de questions larges visant à recueillir des données d’ordre plus factuel liées aux quatre volets de la recherche, à savoir, l’analyse textuelle historique, les rites de passage institués, les pratiques performatives et l’impact de la pandémie. Ces aspects ont été identifiés – tant par les membres de l’équipe que par ceux du comité consultatif – comme cruciaux dans la construction identitaire sakhī. Un groupe de 20 répondantes est envisagé, au sein duquel sera assurée une représentativité au niveau de l’âge, de la région de provenance, de la paramparā d’appartenance et de la place hiérarchique de chacune au sein de la communauté. Les répondantes seront recrutées par le comité consultatif; deux rencontres formelles de près de trois heures seront effectuées avec chacune d’elles, la première dédiée au récit de vie, la seconde à l’entretien semi-dirigé. Les entretiens et les entrevues seront tous effectués par Mathieu Boisvert, Émeraude Lapointe (doctorante, UQAM) et une étudiante de cycle supérieur indienne qui, à eux trois, détiennent une compréhension des différents dialectes locaux du Madhya Pradesh et assurent ainsi que les nuances et le vocabulaire propre à la communauté soient bien saisis. En collaboration avec le Research Centre for Women Studies de la SNDT Women University (Mumbai), nous œuvrons depuis septembre 2020 à la formation d’une assistante pour ce projet, et ce avec la participation de l’une des collaboratrices à ce projet, la professeure Vatsala Shoukla.
L’observation, menées par des observateurs complets (Martineau, 2005), aura lieu dans divers endroits : les domiciles sakhī, lors de la collecte des entretiens et des entrevues, les sites de pratique performative où sont accomplis bénédictions (āśīrvād) et danses rituelles (bīdā), lors de prestations plus ritualisées, et alentours de sites religieux importants lors des pèlerinages sakhī (entre autres, Vrindavan et Ayodhya). On documentera sur le terrain à l’aide de méthodes en anthropologie visuelle l’aspect esthétique des pratiques, tout en incluant la participation des informatrices en leur faisant prendre des photographies à l’aide d’une tablette…. Deux grilles d’observation seront utilisées : une première pour les observations au sein des domiciles sakhī lors des prestation ritualisées, centrée sur les dimensions 1, 2 et 3, à savoir les caractéristiques saillantes (langue, religion, style de vie) et les critères de moralité et d’excellence (valeurs et attitudes), la dimension structurelle et interactionnelle, et la dimension subjective; et une deuxième pour les observations sur les sites de pèlerinage basée essentiellement – mais non exclusivement – sur la dimensions historique, réelle ou putative, commune des membres du groupe (dimension 4).
Traitement et analyse de données : Les entrevues seront enregistrées, puis retranscrites. Le corpus sera traité selon la procédure d’analyse de contenu (Beaud et Weber, 1998) avec le logiciel NVivo. Les dimensions analysées seront les suivantes : rites de passage et leur relation avec les lignages symboliques, le pur/impur, la relation guru/disciple, la sexualité/célibat et l’identité de genre « dévotionnelle », l’aspect esthétique et les pratiques performatives tel le théâtre/danse/musique, la formation/training, le rapport au public, la tradition/modernité et l’impact de la pandémie sur l’identité individuelle et collective des membres.
Contexte pandémique : Nous espérons être en mesure de débuter nos entrevues en janvier 2024. Si le contexte sanitaire ne nous permettait pas de nous rendre sur place, nous pourrons mener ces entrevues par Zoom et/ou via la plateforme Whatsapp, cette dernière étant très utilisée en Inde. La méthodologie sera adaptée afin maximiser la collecte d’information de qualité en respectant les normes éthiques et de protection des données.
Considérations éthiques : Le projet a déjà reçu l’approbation du Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’UQAM. Celle-ci était nécessaire afin d’entamer le « pré-terrain » partiellement financé par le MRIF-Québec. Des formulaires de consentement ont déjà été élaborés et seront signés par toutes les participantes. Les entrevues se feront sur une base volontaire : les participantes pourront se retirer en tout temps sans préjudice et les informations qu’elles auront jusqu’alors fournies seront détruites.