COMPTES-RENDUS DU COLLOQUE QUELS CHOIX POUR LE CANADA ?

30 mars 2004

Comptes-rendus de la Conférence tenue le 26 mars dernier.
COMPTES-RENDUS DU COLLOQUE QUELS CHOIX POUR LE CANADA ?

Panel 1 : Sécurité du territoire/homeland security

Présidence : Charles-Philippe David, Titulaire de la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, UQAM Stephen Flynn, Council on Foreign relations, New York, N.Y. Les attentats terroristes de septembre 2001 ont révélé le nouveau visage des conflits à venir. L’emploi de méthodes non-militaires – ou asymétriques – constitue le seul moyen par lequel il est possible d’affronter les États-Unis. Par la liberté de circulation des individus et la libre-entreprise, la société américaine est très vulnérable au niveau de ses infrastructures essentielles et ses réseaux de transport. La nature de la menace provient ainsi essentiellement d’une rupture économique et sociétale entre les populations, rendant de ce fait plus vulnérables les lieux d’échanges commerciaux. Le défi principal pour Washington s’avère donc d’assurer la sécurité de sa population sans bloquer ces échanges aux frontières du pays. Or, le budget du Homeland Security n’équivaut qu’à 4% du budget total de la sécurité nationale. Les augmentations octroyées depuis le 11 septembre 2001 sont dérisoires et témoignent de la poursuite de la même doctrine en matière de sécurité et de défense qu’avant les attentats de 2001: la lutte contre les « États voyous ». Cette politique s’inscrit dans une philosophie de « Do it over there, not here » et témoigne du fait que, pour l’instant, Washington ne s’est pas réveillé. Mark Salter, Université d’Ottawa, Ontario L’augmentation des budgets en matière de sécurité n’a pas pour effet direct d’accroître la sécurité du territoire. Ceci est, d’une part, révélateur en ce qui a trait à la frontière mexicano-américaine, où la gestion frontalière repose sur trois aspects. 1) Il s’agit de distinguer les « bons » des « mauvais » passants, donc à constamment rechercher les failles du système de sécurité sans pour autant s’interroger sur sa nature et son efficacité. 2) La surveillance et l’évaluation des passants permettent aux douaniers de sentir leur anxiété et se fondent sur le principe selon lequel les passants ont besoin de dire la vérité à une figure d’autorité, méthode qui s’avère inefficace dans le cas d’un terroriste convaincu. 3) La haute technologie est utilisée pour la gestion frontalière. Depuis les événements du 11 septembre, de nouveaux instruments ont été mis en place afin d’accroître la sécurité du territoire. D’autre part, à partir de septembre 2001, le Canada a intensifié ses vérifications à la frontière, notamment grâce à la loi C-36, mais cette solution s’avère instable et n’élimine pas le problème à la source. Par ailleurs, en analysant les politiques d’immigration selon un enjeu de sécurité et non de droit de la personne, ces dernières menacent directement les valeurs libérales canadiennes qui sont dès lors sacrifiées au profit d’une sécurité soi-disant plus efficace. Stéphane Roussel, Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes, UQAM et Yves Bélanger, Groupe de recherche sur la reconversion industrielle, UQAM La menace la plus importante pour le Canada est celle d’être « américanisé » et non pas celle d’être victime de terrorisme. Par ses mesures prises depuis septembre 2001, le Canada peut sembler, a priori, « américaniser » sa sécurité intérieure, comme en témoigne la création du BPIE. Or, ce dernier n’est pas comparable au DHS américain tant au niveau de ses ressources financières que de ses champs de compétences. Sa création répond moins à une réelle prise en compte de la menace terroriste au Canada qu’à son besoin de démontrer à son voisin du Sud sa volonté d’accroître ses mesures de sécurité intérieure. Par ailleurs, au Canada, les provinces jouent un rôle très différent et beaucoup plus important que celui des États américains pusiqu’elles sont davantage jalouses de leurs prérogatives. L’exemple du Québec, qui a réorganisé substantiellement sa sécurité intérieure notamment par le biais d’ententes avec le Vermont, en témoigne. Il s’agit maintenant de voir quels seront les effets des mesures de réingénérie de M. Charest, i.e. l’augmentation du rôle des acteurs privés dans la gestion de la sécurité. À Ottawa, deux hypothèses sont possibles : soit une augmentation des tranferts accordés aux provinces pour la gestion de leur sécurité intérieure, soit une intervention directe du gouvernement fédéral dans les champs de compétences provinciales. Peu importe la méthode privilégiée, les provinces ont pour garantie qu’il s’agira davantage d’une « canadianisation » des changements en matière de sécurité plutôt que d’une « américanisation » des politiques canadiennes.

Panel 2 : Commandement du Nord : quelles modalités souhaite le Canada?/ Northern command : How integrated does Canada wish to be ?

Présidence : Pierre Martin, Directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines, Université de Montréal Brian Vickers, Officier canadien à la direction des politiques et de la planification du Commandement de la défense aérospatial de l’Amérique du Nord (NORAD) M. Vickers a résumé les défis que doit relever le Commandement de l’Amérique du Nord. Il a souligné la nécessité de favoriser la coordination entre les différents acteurs – les autorités locales, provinciales et nationales, les organisations non gouvernementales, les gens d’affaires et les militaires – au sein de l’organisation afin d’accroître l’efficacité des interventions militaires lors de catastrophes naturelles, d’actes terroristes et d’attaques conventionnelles. Il a précisé, d’une part, que le déploiement ponctuel des forces armées sur le territoire Nord-américain reste la solution de dernier recours, après que les ressources des autorités civiles aient été sollicitées. Enfin, M. Vickers a abordé le sujet controversé de la défense antimissile. Il considère que le Canada n’a pas d’autre choix que de participer activement à cette initiative américaine puisque cette dernière aura des répercussions sur le Canada, qu’il y participe activement ou non. Joseph Jockel, Professeur et directeur au Département d’études canadiennes à l’Université St. Lawrence, Canton, New York Le professeur Jockel a évoqué deux raisons qui expliquent l’hésitation du Canada à participer au nouveau mandat du NORAD qui repose désormais sur la défense aérospatiale (anciennement limitée à la défense aérienne). Premièrement, les États-Unis conservent un Commandement parallèle au Commandement du Nord afin de poursuivre leurs intérêts nationaux en cas de litige ou de désaccord avec le Canada. Deuxièmement, le Canada ne possède aucun système de détection de missiles du Commandement du Nord sur son territoire et n’assume aucune responsabilité quant à la direction de ces systèmes. Dès lors, ses responsabilités sont limitées à la défense aérienne. De plus, les États-Unis ne font confiance à aucun allié concernant l’évaluation d’une menace sur leur territoire. En effet, que ce soit sous le Commandement du Nord ou non, ils agissent unilatéralement. Toutefois, dans le contexte d’une intégration des forces armées, si le Canada ne participe pas à la défense aérospatiale, il ne peut participer à aucune organisation militaire binationale. Alors il perdra sa place au sein du Commandement du Nord. Joel Sokolksy, Doyen des Arts et professeur au Département de science politique et d’économique, Collège militaire royal du Canada Le professeur Sokolksy s’est attardé au changement des politiques de défense des États-Unis et du Canada, dans le contexte de la lutte au terrorisme sur le territoire Nord-américain, où davantage de ressources sont consacrées à la surveillance des côtes et des Grands Lacs. Les États-Unis ont confié cette mission aux gardes côtiers, qui possèdent des capacités considérables en terme de personnels, d’équipements de surveillance électronique, d’embarcations et de puissance de feu. La marine américaine, quant à elle, est déployée à l’étranger. Dès lors, les États-Unis attendent du Canada qu’il adopte la même approche. Toutefois, le Canada a décidé d’attribuer la responsabilité de la protection des eaux territoriales aux forces maritimes et de diminuer les interventions à l’étranger. Une des raisons qui motive ce choix est l’incapacité financière des gardes côtiers canadiens à assurer la défense des frontières maritimes. Ainsi, lorsque les États-Unis jugent la participation du Canada dans la lutte au terrorisme, ils ne prennent pas en considération l’implication des forces marines canadiennes dans la défense intérieure, mais seulement son déploiement outre-mer.

Panel 3 : BMD – Qu’attendent les États-Unis du Canada et quelles options a le Canada?/BMD-What are USA expectations of Canada ? What are Canada’s option ?

Présidence : Alex MacLeod, Directeur du Centre d’étude des politiques étrangères et de sécurité (CEPES), UQAM Charles Peña, Cato Institute, Washington, D.C. Pour M. Peña, la volonté d’aller de l’avant dans le projet de BMD vise à offrir une police d’assurance au peuple américain et à permettre à son administration d’avoir les coudées franches pour projeter sa force à l’étranger et exercer le rôle que sa puissance militaire lui permet de jouer en assurant la sécurité du territoire américain face à des représailles. De même, les actions entreprises par l’administration actuelle, procédant d’une lecture manichéenne du monde géostratégique post-guerre froide, visent à rendre irréversible le processus de déploiement d’un BMD. En effet, non seulement le candidat démocrate John Kerry n’est-il pas opposé au projet, mais aucun président ne saurait revenir sur le projet tant le besoin de se sentir en sécurité est grand dans la population américaine, surtout depuis les attaques sur leur sol en 2001. Ainsi, pour M. Peña, la question n’est pas de savoir si un BMD sera déployé mais de savoir combien il en coûtera. Pour ce qui est du Canada, à cause de sa proximité géographique, il serait nécessairement protégé, reste donc également à savoir à quel prix pour ce dernier. Philippe Lagassé, Carleton University, Ottawa, Ontario M. Lagassé s’est d’abord penché sur le changement de cap effectué par le Canada au sujet du BMD. En effet, une lettre envoyée par le ministre de la défense canadien à son homologue américain mentionnait l’ouverture des canadiens au dialogue. M. Lagassé ne croit pas que les américains aient exercé des pressions indues sur le gouvernement canadien dans la mesure où ces derniers n’ont ni besoin du financement, ni de la technologie, ni du territoire canadien pour mener à bien le déploiement d’un BMD fonctionnel. En fait, une participation canadienne, d’un point de vue financier, permettrait à l’administration américaine de faire valoir au Congrès, dans ses demandes de financement, la participation d’alliés et permettrait également d’incorporer le commandement de ce système au NORAD déjà responsable de l’identification et de la traque des missiles tirés vers le continent nord-américain. Cette perspective est bien perçue aux États-Unis à cause des avantages logistiques que comporterait cette possibilité. C’est là que se situe le principal gain que le Canada peut espérer, à savoir le renforcement de sa coopération militaire et la pérennité des structures actuelles, principalement le NORAD. Dans le même ordre d’idées, cette participation donnerait au Canada un certain pouvoir d’influence sur le développement, l’implantation et l’opération du système et ainsi, éviter la militarisation de l’espace par exemple. Commentateur : Albert Legault, Titualire de la Chaire de recherche du Canada en relations internatioanles Le principal défi pour les dirigeants canadiens sera de vendre le projet à la population, réticente sinon hostile au projet américain de BMD. De même, si les américains mettent effectivement en service un tel système, il interpellera directement le Canada à cause de sa proximité géographique. Par exemple, où seront interceptés les missiles ? Bref, pour M. Legault, si le Canada veut améliorer sa relation avec les États-Unis, il doit coopérer (minimalement au niveau du secteur privé) pour pouvoir bénéficier d’informations privilégiées et idéalement avoir un certain pouvoir d’influence sur le développement du système actuel et de ses phases consécutives.

Panel 4 : Vers une communauté de défense nord-américaine?/Toward a north americam defense community ?

Présidence : David Haglund, Qu’een’s University, Kingston, Ontario Athanasios Hristoulas, Instituto tecnólogico autónomo de México, Mexique Pour M. Hristoulas, l’intégration sans cesse plus grande du Mexique dans l’activité nord-américaine impose un questionnement sur la place des Mexicains dans la défense du continent nord-américain. Bien que ces derniers aient une forte tradition d’indépendance au niveau sécuritaire et que la population ne soit pas enthousiaste à l’idée de coopérer avec les États-Unis à ce niveau, les luttes internes dûes aux appareils sécuritaires et les préoccupations américaines rendent la coopération plus probable que jamais. En effet, les forces navales voient cette coopération comme un moyen de moderniser leurs équipements, améliorer leur formation et leur rapport de force avec les autres branches de l’armée dominée par l’infanterie. Il en va de même pour les forces aériennes qui souhaitent accéder au NORAD. Pour ce qui est des préoccupations américaines, elles ont trait à (1) la corruption des appareils sécuritaires, (2) les routes de passages illicites le long de la frontière pouvant être employées par des terroristes et (3) la sécurité de la frontière. Cependant de conclure M. Hristoulas, seul le président Fox et certains corps d’armée poussent vraiment, à l’interne, pour l’accroissement de la coopération sécuritaire. Dans un contexte d’hostilité de la population face au projet, la coopération reste cachée et donc, embryonnaire. Col. Joseph R. Núñez, U.S. Army War College, Carlisle Barracks, Carlisle, P.A. « Si vous ne savez pas où vous aller, peu importe le chemin que vous empruntez » de dire le Col. Núñez en entamant sa présentation. Cette phrase résume bien la situation devant laquelle se trouvent les décideurs politiques. En effet, pour le Col. Núñez, la coopération militaire est possible et souhaitable entre les États-Unis et le Canada comme le montrent les opérations menées conjointement, entre autre, en Afghanistan mais reste surtout le fait du NORAD. De même, tant dans le cas afghan que dans le cadre de la guerre au terrorisme ou plus récemment à Haïti, le Canada a démontré son rôle énergique dans le maintien de la stabilité internationale et son engagement à réaliser ses promesses rapidement. De surcroît, pour le Col. Núñez, les américains comprennent le sacrifice que représente l’engagement d’autant de troupes à l’étrangers et apprécient les efforts de leur allié. Enfin, selon son expérience militaire, le Col. Núñez affirme que les soldats américains apprécient le travail conjoint avec les forces canadiennes. Ainsi, il propose la création d’un corps conjoint et multidisciplinaire. Ce corps permettrait de répondre aux nouveaux défis à savoir (1) la transnationalité des menaces dont le terrorisme, (2) le besoin de légitimité et (3) la nécessité de forces opérationnelles versatiles. De même, cette force offrirait l’avantage de pouvoir se déployer rapidement tout en favorisant le développement de pratiques de coopération régionale. Bref, le Col. Núñez se fait partisan du multilatéralisme parce qu’il est opérationnellement plus efficace. Veronica Kitchen, Brown University, Providence, R.I. Mme Kitchen s’est intéressée à l’accord sur la frontière canado-américaine pour déterminer s’il est possible de parler de communauté de défense nord-américaine au sens constructiviste du terme. Elle conclut que l’accord repose sur trois piliers à savoir (1) la coopération technique et l’harmonisation des politiques, (2) la coopération bureaucratique et à un niveau élevé dans le processus de décision et (3) la mise en place de mécanismes concertés spécifiques. Cette méthode avantage le Canada dans le sens où elle réduit sa relation de dépendance envers les États-Unis grâce à l’élaboration de règles. Ainsi, l’identité et la souveraineté canadienne sont bien servies par cet accord. Cependant, Mme Kitchen se refuse à parler de communauté de défense car (1) il n’y a pas de gestion ni de projet supranational entre autre à cause de l’absence de catalyseur historique comme le furent les deux guerres mondiales en Europe et, plus fondamentalement encore, (2) il n’est pas question d’identité commune de défense car les deux peuples n’ont ni la même perception de la menace, ni la même approche à la sécurité. Bref, c’est le désir d’assurer la prospérité réciproque par le commerce qui pousse les deux pays à coopérer. Ainsi, on ne saurait s’attendre en Amérique du Nord à un processus d’intégration sécuritaire sur le modèle européen les conditions étant radicalement différentes.

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