James Galbraith : Tsipras « doit démontrer sa capacité à changer le pays »

Par Sophie Fay, 4 mars 2015, James K. Galbraith

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L’économiste, proche de Yanis Varoufakis, décrypte pour « l’Obs » le compromis trouvé entre la Grèce et ses créanciers européens. Il admet qu’il faudra du temps pour faire bouger le logiciel économique européen.


Pendant une semaine, l’économiste James Galbraith, professeur à l’Université d’Austin (Texas), est venu épauler son ami (1) Yanis Varoufakis, tout juste nommé ministre des Finances du gouvernement d’Alexis Tsipras, leader du parti de la gauche radicale Syriza.

Objectif : apporter un soutien informel aux équipes grecques chargées de négocier un nouvel accord avec les Européens afin de mettre fin au programme d’austérité accepté par les précédents gouvernements. Aux premières loges pendant les discussions à Bruxelles, il décrypte pour « L’Obs », le compromis qui en est ressorti, loin du virage à 180 degrés espérés par les électeurs grecs.
Le fonctionnement « amateur » de l’Eurogroupe

Lorsque l’on demande à Galbraith ses impressions sur le fonctionnement de l’Eurogroupe, il part d’abord d’un grand éclat de rire… « J’ai travaillé au Congrès américain (2), explique-t-il dans un excellent français. Et je trouve le fonctionnement des institutions européennes assez particulier. »

Il cherche un peu ses mots et poursuit : « Il y a une certaine spontanéité, un manque de procédure tout à fait remarquables… Or il y a 19 ministres, avec des motivations singulières dans certains cas, c’est donc étonnant qu’ils parviennent à faire quoi que ce soit. Ce n’est pas du tout comme un gouvernement ». Amateur serait-il le mot qui lui manque ? « Oui, amateur, c’est tout à fait ça », acquiesce-t-il sans hésiter.

Pour lui, dans les discussions, ce sont les institutions de la troïka, cette instance chargée de mettre en œuvre le plan d’austérité, pourtant honnie par les Grecs, qui se sont montrées les plus « professionnelles ». Il cite le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne. « Ce sont les deux institutions qui ont joué le rôle le plus important, que je sache. Elles ont essayé de trouver le bon moyen d’avancer. Elles ont essayé d’apprécier et de respecter les bornes des deux côtés et surtout de faire face à la réalité politique et économique grecque. »
Berlin « ne voulait rien céder »

Cela n’a pas été le cas des ministres ? Visiblement pas, à en croire Galbraith : « Pour certains gouvernements – et je ne parle pas de l’Allemagne – c’était évidemment une question de survie politique interne, en face notamment de l’opposition montante anti-austérité dans leur propre pays ». A qui pense-t-il ? A trois pays en particulier : l’Espagne, le Portugal et la Finlande (confrontée, elle, à un parti populiste de droite).

« Dans le cas de l’Allemagne, explique l’économiste, c’était plutôt une position juridique et idéologique que M. Schaüble [le ministre des finances allemand, NDLR] a tenue d’une façon très forte jusqu’au moment où il a fallu absolument qu’il cède quelque chose ». Pour ce ministre, la Grèce n’avait pas d’autre choix que de respecter à la lettre tous ses engagements passés. « Il ne voulait rien céder », exigeant de fait des Grecs « une capitulation totale ou la sortie de l’euro », explique Galbraith. D’où le blocage, jusqu’à ce que la chancelière Merkel infléchisse légèrement la position et entrouvre la porte à un accord possible entre la Grèce et ses créditeurs, y compris l’Espagne, le Portugal et la Finlande.

Pour les Grecs, c’est tout de même un accord a minima et certainement pas la remise en question du logiciel européen qu’ils espéraient et que James Galbraith appelait de ses vœux, avec Yanis Varoufakis, dans leur livre « Modeste proposition pour sortir de la crise de l’euro ». L’Europe reste dominée par l’orthodoxie budgétaire allemande. Une déception voire une grande claque ? « Non », affirme le professeur.
Il faut accepter que le changement vienne lentement. Il commence avec la Grèce mais il doit se poursuivre avec d’autres ».

Et d’ajouter : « Ce sera à travers les élections en Finlande, en Espagne, en Irlande que finalement on verra venir le changement s’il doit arriver. La Grèce, c’est le début d’une chaîne d’événements dont on ne connaît encore ni la suite, ni la fin. »
L’UE a fait peu de concessions

Et la France et l’Italie dans tout ça, quel rôle ont-elles joué ? « Très intéressant, je crois que la France et l’Italie ont essayé d’une façon discrète d’aider la Grèce à parvenir à un compromis acceptable, mais elles n’ont pas voulu prendre l’Allemagne de front. Je crois qu’après une réussite électorale [de nos positions] dans certains autres pays, il est très possible qu’elles basculent ».

En attendant le gouvernement grec ne semble pas avoir obtenu beaucoup de concessions. « Il y a trois choses importantes à discuter dans les quatre mois qui viennent », corrige John Galbraith. « D’abord, la question des excédents primaires obligatoires [le niveau d’excédent budgétaire attendu de l’Etat grec avant paiement des intérêts, NDLR]. Tout le monde est d’accord que dans le plan précédent, les objectifs n’étaient pas réalistes ». C’est en les rediscutant que Yanis Varoufakis espère trouver des marges de manœuvre pour desserrer – un peu – l’étau de l’austérité.

« Ensuite, vient la question des privatisations », poursuit l’économiste, « et je crois que là aussi il ne sera pas très difficile de parvenir à un nouvel accord ». Il aura pour but d’éviter la grande braderie, les privatisations qui rapportent peu et n’améliorent pas la compétitivité de l’économie grecque. Enfin sera renégociée la réforme de « la réglementation du marché du travail ». Ce que voulait la troïka, assure Galbraith, allait sur certains points à l’encontre des règles de l’Organisation internationale du travail (OIT). Pour lui, « trouver un accord sur ces trois points ne sera pas la chose la plus difficile ».
Tsipras « doit démontrer sa capacité à changer le pays »

Il poursuit par un aveu étonnant : « Ce qui sera plus difficile, c’est que le gouvernement grec doit se mettre à gouverner. Il doit démontrer sa capacité à changer le pays, de changer les administrations publiques et le système de taxation. Il doit mieux animer l’économie et montrer au peuple qu’il est possible de faire des progrès malgré les conditions difficiles. Ce sera le défi le plus important quand cette période de quatre mois de négociation sera terminée. »

Et quelles réformes le gouvernement grec fera-t-il pour obtenir le feu vert définitif de ses partenaires européens et grands créditeurs ?
Les initiatives porteront surtout sur l’administration publique, la taxation, la fin de l’évasion fiscale et de la corruption », résume Galbraith.

Avec une réserve de taille : « On peut l’écrire sur le papier. Mais dans la réalité tout reste à faire. Le gouvernement doit encore démontrer qu’il en a la capacité »…

Que répond Galbraith aux ministres des Finances européens qui ont trouvé chez Yanis Varoufakis une pointe d’arrogance ? « C’est un mot que l’on connaît très bien dans ma famille », dit-il dans un nouvel éclat de rire. « C’est le mot qu’on a utilisé contre mon père [le célèbre économiste John K. Galbraith, auteur du « Nouvel Etat industriel » (3), NDLR] lorsqu’il s’est mis à dire la vérité sur la Guerre du Viêt Nam pendant les années 1960. C’est un mot – éclat de rire – le mot que l’establishment, que ceux qui sont attachés au pouvoir emploient envers ceux qui les troublent et ceux qu’ils ne peuvent pas manipuler aussi facilement qu’ils le veulent ».

Va-t-il retourner en Grèce ? « Aussitôt que je peux ! »

Sophie Fay

(1) Ils sont co-auteurs de « Modeste proposition pour surmonter la crise de l’euro », éditions Veblen

(2) Il était chef d’équipe d’un comité joint entre le Sénat et la Chambre des députés sur les affaires bancaires et financières.

(3) « Le nouvel Etat industriel » a montré dès 1967 comment la technostructure des grandes entreprises fausse l’économie de marché.

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