Révoltes étudiantes, conflits ethniques, tensions avec la Chine… où en est la Birmanie ?
De notre collègue Olivier Guillard, 25 mars 2015, Mark Bradley
La Birmanie est sortie en 2011 de décennies de régime militaire autoritaire et a engagé de nombreuses réformes. La répression d’une manifestation étudiante le 10 mars dernier marque-t-elle un revirement inquiétant pour le pays, en pleine transition démocratique ?
Les 55 millions de Birmans, la communauté internationale, les promoteurs de la démocratie – sans oublier les étudiants birmans une fois encore malmenés par les forces anti-émeute du régime – ont naturellement vécu la semaine passée ces événements avec dépit et consternation. De tous temps mal à l’aise face aux mobilisations et demandes estudiantines, les généraux birmans – 80% de l’administration actuelle, à commencer par le Président Thein Sein, sont d’anciens officiers supérieurs – ont une nouvelle fois opté pour une gestion musclée à l’endroit de cette jeunesse étudiante restant sur sa faim quant aux promesses du gouvernement (réviser à court terme la législation controversée de la National Education Law).
Les autorités étaient on ne peut plus hostiles à l’idée de voir déferler sur Yangon une vague d’étudiants – sur laquelle aurait pu se greffer des sympathisants de la société civile, des professeurs, des citoyens – ; Naypyidaw a décidé de ressortir les grands moyens pour faire entendre raison manu militari aux manifestants, autant que pour convaincre la population de son aptitude, nonobstant l’ère officiellement post-junte engagée voilà quatre ans et avant LE GRAND rendez-vous électoral de fin d’année (les élections parlementaires seront organisées en novembre), à recourir à l’action. Quitte pour cela à subir les critiques domestiques diverses et devoir faire face aux remontrances de la communauté internationale, Washington, Londres et Bruxelles en tête. A noter toutefois que cette répression estudiantine, à la différence de la dernière en date lors de la révolution – avortée – de safran en 2007, n’a pas fait de victime.
Tout en condamnant ces événements et même si de l’avis d’une majorité d’observateurs l’élan des réformes s’est indiscutablement ralenti depuis deux ans, on ne saurait pour autant dire que ces faits sont annonciateurs d’un brutal retour en arrière, que la complexe transition démocratique n’ira guère plus loin, moins encore qu’ils augurent de lendemains sombres dans la Birmanie post-junte ; cependant, note a bien été prise par tous les acteurs birmans de l’extrême fébrilité du régime à l’endroit de la mobilisation étudiante.
Plus d’un quart de siècle après le soulèvement populaire pro-démocratie de 1988 – lors duquel les étudiants birmans jouèrent un rôle clef -, les généraux birmans, galonnés ou en costume civil, en exercice ou retraités, voient toujours ce « péril jeune » comme une menace existentielle à leur autorité.
Le Nord de la Birmanie est secoué par une recrudescence des conflits ethniques depuis le début de l’année dans les régions kachin, palaung et maintenant kokang. Comment expliquer la résurgence de ces affrontements ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces combats entre l’armée régulière et certains groupes ethniques armés ce, alors même que la signature d’un accord national de cessez-le-feu, âprement négocié depuis deux ans entre le gouvernement et une vingtaine d’acteurs ethniques distincts, n’a jamais paru si proche, à défaut de sembler totalement acquis. Une 7e session de négociations gouvernement / représentants ethniques vient de débuter après plusieurs mois de gel et de crispation, dus entre autres à la permanence des hostilités dans les Etats Shan et Kachin.
La violence des affrontements depuis un long mois dans la région de Kokang (Etat Shan ; zone frontalière de la Chine) – 70 soldats de la Tatmadaw (l’armée régulière birmane) aurait perdu la vie – aura autant surpris les Birmans que les observateurs étrangers ; dans cette région confinant avec le Yunnan chinois, les forces régulières ont subi une attaque en règle de la part d’une ethnie kokang aux effectifs et matériels employés dûment préparés. Délogé en 2009 de cette région par une opération militaire des forces régulières, un ‘’chef de guerre’’ kokang serait à l’origine de cette éruption particulière – et bien planifiée – de violence.
Dans les Etats Kachin et Shan, théâtres d’affrontements d’intensité variable depuis deux ans, des enjeux distincts sont à prendre en compte, alors que se dessine un très probable accord national de cessez-le-feu, lequel serait ensuite suivi par de longues et ardues discussions de paix. Mainmise sur les ressources naturelles à exploiter demain (cf. potentiel hydroélectrique ; mines), trafics illégaux transfrontaliers en tous genres (cf. contrebande de bois précieux vers la Chine), mais également volonté de certains ‘’faucons’’ (cf. généraux de l’ancienne junte) hostiles aux réformes et à la transition politique de complexifier / retarder l’ouverture du pays, de lester la main du gouvernement en multipliant les zones de crise et les différends, alimentent chacun à leur manière ces divers théâtres de crise peinant à créer de la confiance entre d’un côté le gouvernement Thein Sein et l’armée, de l’autre, les populations ethniques birmanes (un tiers de la population totale) et leurs représentants politiques et militaires.
La Chine s’est dite déterminée à protéger ses citoyens vivant à sa frontière avec la Birmanie après la mort de quatre Chinois dans l’explosion d’une bombe larguée par un avion birman. Ces affrontements birmans peuvent-ils constituer une menace à la paix et à la sécurité de la région ?
Accusée par divers observateurs / acteurs d’être plus ou moins directement impliquée dans les combats secouant depuis début février la région de Kokang (située dans le Nord de l’Etat Shan, en face du Yunnan chinois) – en soutenant notamment les populations Kokang, des Hans originaires de Chine -, Pékin a décidé de ne pas plus prendre de coups sans en donner, à tout le moins dans ses rapports complexes avec la Birmanie, pays où le sentiment sino-sceptique est important parmi la population birmane.
Si un obus tiré par les forces birmanes loupa sa cible (des troupes ethniques Kokang) et finit par atterrir malencontreusement dans la province du Yunnan chinoise en faisant quelques victimes collatérales, la République Populaire de Chine ne se sentait pas menacée dans son existence par cet incident, mais éprouva le besoin de rappeler à son voisin birman la réalité des choses (notamment en mobilisant ses chasseurs qui occupèrent l’espace aérien à diverses reprises ; un signal manifeste de courroux chinois) et le statut de chacun dans cette configuration régionale asymétrique : la critique de Pékin (un phénomène reparti à la hausse depuis ces hostilités de Kokang, sur lequel comptait capitaliser le régime auprès de l’opinion publique birmane et des électeurs), lorsqu’elle émane d’un acteur aussi fébrile et exposé que la Birmanie post-junte du Président Thein Sein, ne peut durer qu’un temps et en tout état de cause, emporte des coûts élevés pour ses promoteurs.