Les transformations actuelles de l’ordre géopolitique mondial se traduisent par des restructurations profondes des échelles territoriales de légitimité des États et des formes de cette légitimité, fondées sur la protection sociale. Dans les 20 dernières années, caractérisées généralement comme celles de la mondialisation néolibérale, on a pu en effet observer une intensification de la remise en cause des frontières politiques établies
après la Deuxième Guerre mondiale. Certains États se sont dissous, d’autres sont apparus, d’autres encore ont cherché à s’unir en formant des entités politiques nouvelles à échelle continentale, certains autres enfin, et parfois les mêmes, se sont restructurés en redessinant leurs frontières intérieures et en réaménageant les relations entre pouvoir central et pouvoirs régionaux. Simultanément, la nature et les formes institutionnelles
de référence des systèmes nationaux de protection sociale mis en place dans le cadre des États nationaux ont été fortement mises en cause par les élites politiques et économiques de ces divers pays. Or, les politiques sociales n’ont pas pour seule finalité la protection de la vie individuelle contre les risques de la vie sociale, mais aussi celle de cette vie sociale elle-même. En sécurisant l’individu au sein d’une société, elles assurent la viabilité de cette société en tant que tout social qui fonde l’appartenance et l’adhésion à ses valeurs. C’est pourquoi ce qui
peut d’abord sembler n’être qu’une simple conccurence de changements dans les frontières des ordres politiques et dans les politiques sociales doit en fait être considéré comme une corrélation. En effet, toute modification de l’inscription territoriale d’une
société, qui entraîne un changement de la structuration de son système politique et des formes de l’appartenance sociale, ne peut que se répercuter sur le système de distribution des biens publics, dont les prestations sociales constituent une part essentielle. Réciproquement, la protection sociale apparaît comme constituant une ressource cruciale dans la restructuration des territoires politiques, l’inclusion dans un système de protection sociale, l’accès à des droits sociaux étant aussi inclusion dans une communauté politique, celle précisément où de tels droits sont reconnus à tous ses membres. D’où la nécessité de
s’interroger sur le rôle des politiques sociales non seulement dans le maintien de l’unité des systèmes de gouvernement des sociétés, mais aussi dans la construction des frontières politiques au sein desquelles sont forgées les formes territorialisées de l’appartenance
sociale et de la citoyenneté. Cet article se donne précisément pour objet un tel questionnement en partant de deux hypothèses, qui seront d’abord posées puis dont sera illustré le caractère heuristique sur quelques cas de fédérations.
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